WIEGO/REDA Droit au Développement pour d’autres Alternatives – le syndicat des travailleuses du secteur informel

Adama Soumaré  et sa famille m’expliquent le travail de l’association WIEGO qui consiste à soutenir et aider à l’auto-organisations des travailleuses et travailleurs les plus pauvres du secteur informel. Le travail « informel », c’est ce qu’on appelle en Europe le « travail au noir », non déclarée et non encadré par des contrats de travail et des cotisations sociales. C’est aussi un travail comparable aux activités de survie que les citoyens de l’Est ont développé au moment des grandes misères des plans d’ajustements structurels du choc capitaliste des années 90 : agriculture dans des jardins de ville et de campagne, vente sur le bord des routes et des rues de produits agricoles, de bocaux de confiture, de légumes mis en bocaux traditionnellement dans l’économie domestique, vente de baies et de champignons issus du ramassage dans les forêts, vente de fleurs, vente de tout, de toutes sortes d’objets récupérés, à tous les coins de rue pour gagner quelques sous pour s’acheter à manger et payer les factures d’électricité et de chauffage. (Cette survie comprenait hélas aussi la vente de son propre corps le long des routes et dans les rue des villes pour les femmes, les jeunes filles et les jeunes garçons et même pour des enfants…).

En Afrique comme en Europe l’essor de l’économie rue est consubstantielle des conséquences des plans d’ajustements structurels des années 80 et 90, des privatisations de sociétés d’Etat et du licenciements des fonctionnaires. Les femmes surtout ont été obligées de prendre en main la survie de la famille et ont du développer des activités telles que la vente de produits alimentaires, de céréales, de poisson et la restauration de rue. Ces stratégies de survie étaient associées à des activités féminines comme le ménage et le lavage du linge. Les hommes de l’économie informelle sont artisans – couturiers, maroquiniers, travailleurs de métaux, maçons mais aussi chauffeurs de taxi non déclarés. L’économie de survie en version féminine est alors une mise sur le marché informel de la production domestique traditionnelle destinée à la consommation familiale. A l’économie de production du beurre de karité en Afrique  correspond à nos conserves de concombres et de champignons que chaque famille fait traditionnellement dans les pays de l’Est.

Mais ce qui pour moi est extraordinaire est qu’en Afrique de l’Ouest cette économie de survie a donné naissance à des structures de solidarité et de coopération, à des groupements de productrices et à syndicats organisés en réseaux de quartier, de villes et de régions qui sont devenus aujourd’hui des structures pouvant avoir un considérable pouvoir politique. Les femmes du réseau REDA Droit au Développement pour d’autres Alternatives du quartier de Malika m’ont expliqué qu’elles ont été obligées de remplacer un Etat failli pour pouvoir vivre et envoyer leurs enfants à l’école (souvent il n’y avait plus d’école et il fallait en organiser une soi même…). Dès qu’elles ont compris la faille du micro crédit officiel, elles l’ont remplacé par des crédits autogérés sans intérêts dans lequel ce sont elles-mêmes qui déterminent les modalités du paiement. L’association de femmes est aussi un recours financier et psychologique en cas de coup dur : maladie, suicide, veuvage, suicide… Des accidents de la vie face auxquelles en Europe nous devant souvent faire face seuls. Au cours de leur réunion à laquelle j’ai assisté les coopératrices organisaient un Forum des groupements de toute la région. J’ai pu voir qu’étant organisées en structures légales afin de défendre leurs droits à vivre et à développer leur activité, elles élargissent leur influence politique  en s’intéressant à tous les aspects de la vie des habitants de leur quartier. Ainsi, elles ont repéré dans leur quartier des lingères migrantes d’autres pays africains. Les coopératrices sénégalaises approchent ces femmes individuellement afin de les inciter à imposer un prix unique par pièce de vêtements lavés. Dans la réunion il a aussi était question de lycéennes travaillant comme bonnes au moment des vacances scolaires, des talibés -enfants orphelins vivant de la charité que les femmes coopératrices soutiennent afin de les amener petit à petit à consulter un centre de santé et se faire aider par des assistantes sociales.

La force de ses associations économiques de femmes étaient déjà visible par leur participation massive à la manifestation d’ouverture du Forum Social Mondial à Dakar en février 2011,  prélude de tous les changements politiques qui secouèrent le Sénégal par la suite et qui continuent dans toute l’Afrique de l’Ouest. La capacité d’organisation des femmes en structures économiques, sociales et politiques couplée à la reconnaissance de la nécessité de parité en politique m’a convaincu depuis 2011 que cette parité ne sera pas figurative comme elle peut l’être en Europe, simple loi ne changeant rien à la place des femmes dans la société, mais le levier d’un véritable pouvoir féminin dans le pays. Les femmes du groupement de Malika ont conclus que le Forum Social Mondial a été effectivement eu un effet dynamisant leur structures en leur donnant de l’espoir et une certaine reconnaissance.

Comme l’exprime Tenning Faye, la vétérane de l’association des femmes de Malika : « L’Union fait la force ! Il faut intégrer tout le monde, jeunes et âgées ensemble » !




Tenning Faye, fondatrice de l’association des femmes de Malika

Je me suis souvent posée la question pourquoi en Europe de l’Est il est si difficile de nous organiser de façon semblable. Je parle de nous, les travailleurs « informels », migrants légaux ou « ‘au noir » dans les pays occidentaux, ou  travailleurs semi formels dans nos pays ou il n’existe parfois plus de contrat de travail. Mes interlocutrices sénégalaises ont pris le temps de réfléchir à ma question. Elles  m’ont répondu qu’elles travaillaient quotidiennement ensemble, dans la rue ou dans les maisons en tant que domestiques, elles n’étaient jamais seules  mais vivaient en groupe. Le travail commun et l’absence d’esprit de concurrence facilitent ainsi l’entente et l’auto-organisation, une forte solidarité entre femmes sénégalaises partageant une même culture. L’individualisme de la culture européenne, que nous cultivons sous le vocable de « liberté » s’avère ainsi être un frein important à notre émancipation. De plus les Européennes de l’Est n’ont jamais pu bénéficier du soutien de structures occidentales pour nous aider à « renforcer nos capacités » (selon le vocabulaire ONG-iste consacré…). Les vendeurs de rue et des marchés informels de Pologne, de Hongrie ou de Bulgarie, les domestiques et les maçons au noir, les travailleurs détachés n’ont pas été soutenus dans leur auto-organisation par des associations ou des syndicats de l’Occident qui auraient pu pourtant rémunérer un coordinateur  les aidant à organiser la structure juridique, mettant à disposition un ordinateur, internet, un lieu de rencontre et ses compétences pour coordonner la naissance d’une structure de travailleurs pauvres. Nous sommes restés seuls et inorganisés.