La Coalition des Alternatives Africaines Dette et Développement

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La CAD est à elle seule un monde de luttes. Né en 1998, ce réseau structuré de 30 organisations a toujours été un solide pilier du CADTM Afrique sous la houlette de son leader, le regretté Sekou Diarra décédé en 2014. La CAD regroupe des organisations paysannes, des tradithérapeutes, des coopératives de femmes et forme ainsi un mouvement majeur de lutte contre la mise sous tutelle du pays par le système dette du FMI et de la Banque Mondiale, contre l’accaparament des terres et contre l’exploitation des plus pauvres par le micro-crédit. Le Forum des Peuples qu’elle organise chaque année est un des plus vaste espaces de liberté d’expression des revendications de la société civile malienne et au delà dans toute l’Afrique de l’Ouest. C’est une véritable Assemblée de Démocratie directe, « un marché des peuples ».

J’assiste à une réunion du Conseil d’Administration de la CAD. Car ces coopératives et organisations n’ont de poids politique que regroupées au sein de coordinations qui elles-mêmes se regroupent en confédération. La CAD se définit depuis 2001 comme un mouvement politique malien visant à faire annuler la dette odieuse du Mali et changer toutes les politiques néolibérales menant à l’endettement du peuple et de l’Etat. Changer les politiques veut dire aider les populations à s’organiser pour définir et défendre leur intérêts, organiser des possibilités d’expression et ainsi construire une démocratie réelle ou les populations les plus opprimées, femmes, jeunes, paysans, travailleurs de l’informel puissent avoir enfin leur mot à dire sur la LA politique qui les concerne. La CAD participe au mouvement mondial pour la justice sociale, d’ou sa contribution très forte au processus des Forum Sociaux Mondiaux, via surtout le CADTM dont  elle abrite le siège du réseau Afrique. Son axe de lutte premier est l’abolition de la dette, le fait de cesser unilatéralement de payer la dette publique définie par l’Occident et de faire pression sur les gouvernement pour que ce type de droit soit prépondérant dans la législation nationale. C’est ainsi que la CAD est le pilier de la CEMAT, et participe à la Convergence Globale des Luttes pour la Terre et l’Eau d’Afrique de l’Ouest.

Affiche contre l’accaparemment des terres

Cette brûlante question de la « reféodalisation » des terres arables se posent partout dans les pays périphérique exploités par les multinationales occidentales. Il apparait que la propriété paysanne tout comme la collectivisation n’ont hélas été qu’une courte parenthèse du 20ème siècle en Europe de l’Est, étroitement liée à l’existence de l’Union Soviétique.

En effet, les meilleurs terres d’Europe de l’Est n’ont historiquement jamais appartenues aux paysans qui les cultivent. La terre fut depuis 500 ans aux mains d’une aristocratie féodale qui remit les paysans au servage afin d’exporter le blé pour les cités de ouest capitaliste en plein essor. Ainsi toutes les luttes progressistes au 19 siècle étaient tendues vers l’objectif de la réforme agraire et de la distribution des terres. Les mouvements progressistes paysans ont quasiment tous, sauf en Bulgarie, échoué à cet objectif avant 1939. Il a appartenu à l’Armée Rouge en 1945 de procéder à cette justice historique de nationalisation des terres des féodaux et de leur distribution aux paysans. Cependant, comme cette mesure fut immédiatement suivie de la collectivisation plutôt forcée que voulue, sauf en Pologne, l’Etat reprit la place des féodaux. Comme on le voit, la reprivatisation n’a nullement été une redistribution de terre aux paysans travaillant sur les fermes d’Etat comme ouvriers et techniciens, mais une nouvelle spoliation.

Cependant, si la petite propriété paysanne familiale a résisté en Pologne, Roumanie et Yougoslavie à la collectivisation, elle a succombé au capitalisme néolibéral et le transfert des fermes privées aux oligarques et multinationales s’est consolidé à la faveur la Politique Agricole Commune de l’UE.

Terres fertiles roumaines

La question des terres collectives dans les pays de l’Est fait partie de son patrimoine historique : les prairies des pâturages le long des fleuves sont toujours gérées communalement, les terres en jachère qui « ne sont à personne » sont nombreuses, et c’est dans ces interstices que des populations comme les Roms peuvent planter leurs cabanes, faire paitre leurs bêtes et vivre d’une économie de commerce informel, de ramassage de déchets, de petite production artisanale, ainsi que de diverses petits services. Les diseuses de bonnes aventures, les musiciens, les fameux artisans tsiganes producteurs de ferblanterie ou de vannerie font partis du paysage historique des sociétés l’Est et des Balkans. Dans la modernité bureaucratique de l’Europe néolibérale, ces pratiques sociales et économiques sont totalement incompréhensibles pour les classes aisées occidentales qui détiennent le pouvoir politique sur tout le continent.

Comment défendre les Roms et leur mode de vie dans les marginaliser et les communautariser ? Les manifestants roumains avaient en 2012 répondu à la question en invitant les Roms les plus pauvres à se joindre aux cortèges de protestation sous le slogan « nous sommes tous des Roms et nous sommes tous des Roumains », en réponse aux éructations racistes de Nicolas Sarkozy. Les anarchistes bulgares font du soutien politique aux Roms bulgares menacés d’expulsion des terrains qu’ils occupent, un axe de lutte politique. Il resterait à soutenir la création de syndicats autonomes dans les régions les plus pauvres d’Europe ou les Roms sont les travailleurs les plus exploités. Dans la Vallée des Roses de Kazanlakh en Bulgarie, les pétales de roses qui donneront naissance au précieux élixir sont ramassées à la main par des femmes roms payées en dessous de 100 Euros, alors que l’essence de rose est acheminée pour trois fois rien aux grandes parfumeries occidentales telle Guerlain sans que même la mention « made in Bulgaria » ne soit apposée sur le produit. Il faut dire que les terres à rosiers de cette région historique ont été les premiers à être accaparés par des holdings occidentales et les oligarques mafieux.

Secteur informel bulgare

Le corollaire de la destruction de l’agriculture paysanne est l’émigration vers les grandes métropoles occidentales. Ici également l’Afrique et l’Europe de l’Est présentent des similitudes inquiétantes. Aux marches à travers le désert et aux traversées inhumaines de la Méditerranée correspondent les centaines de milliers de travailleurs détachés de l’Est acheminés en bus vers les usines, les champs et les chantiers de l’Ouest pour y être sous payés, exploités et renvoyés. Des pratiques d’esclavage ont été dénoncés par la CGT Intérim en France, IG Bau en Allemagne, l’Association Polonaise des Travailleurs Migrants, l’Inspection du Travail Eka à Athènes dans les années 2007-2013 déjà.

Quelques grèves très dures ont permis de dénoncer le scandale de ces pratiques. Mais rien n’a changé. Les travailleurs de l’Est et du Sud se retrouvent mis en concurrence pour les mêmes emplois par les même patrons qui se servent d’eux pour ne pas payer les cotisations sociales et les salaires minimums de travailleurs de l’Ouest ainsi maintenus au chômage. La majorité des migrants au Sud comme à l’Est sont des fils et filles de la campagne, enfants de paysans, d’ouvriers, de techniciens ou d’artisans d’entreprises publiques ou coopératives disparues dans l’ouverture à la concurrence et les privatisations. Dans ce domaine aussi la convergence des luttes nous permettraient de gagner en visibilité car le sujet des migrations est trop souvent abordé sous un angle humanitaire misérabiliste. La CAD lutte pour une analyse politique des causes des migrations et donc pour le renforcement des droits des migrants en tant que citoyens et travailleurs. Il ne s’agit par d’empêcher les jeunes de partir, mais de rendre la construction de leur vie dans leur pays attrayante afin que ces forces vivent y restent et y donnent leur énergie.

C’est pour cela que la CAD et le SADI, le mouvement paysan et le mouvement des Sans Voix exigent en priorité la justice sociale matérialisée par la construction de services publics gratuits et acessibles à tous : centres de santé, écoles et universités publiques et gratuites (les jeunes militants ne m’ont que trop pointé que les meilleurs lycées du pays étaient privés) adductions d’eau, réseau d’électricité et d’internet, droits des travailleurs et travailleuses du secteur informel… Le retour à la construction d’un pays pour tous les citoyen/es débuté sous Modibo Keita et stoppé par l’ong-isation des décennies néolibérales n’est pas un combat d’un futur irréel mais une exigence impérieuse d’un peuple à bout de patience. La crise climatique entrainant désertification et migrations forcées vers les villes et vers l’étranger, la CAD a toujours expliqué le liens entre protection de l’environnement et soutien à l’agriculture paysanne. C’est ainsi que le mouvement social s’oppose aux Partenariats Publics Privés dans la gestion des terres de l’Office Public du Niger et au bradage et destruction des forêts. La Coalition exige une gestion publique des ressources naturelles au profit des habitants locaux. Dans la ligne de mir, l’orpaillage traditionnel et industriel qui est une source de richesse du pays mais les terres arables sont bradées à des concessions étrangères et l’extraction effectuée sans considération pour la biodiversité et le travail des paysans. Le soutien aux organisations de travailleurs et surtout travailleuses de l’orpaillage traditionnel fait également partie des objectifs de la Coalition de même que le soutien au développement du commerce équitable afin de rémunérer correctement le travail des paysans et des artisans.

Un des instrument important de luttes est l’espace démocratique de débat et de décisions des organisations populaires – Le Forum des Peuples tenu une fois par an dans une petite ville du pays et rassemblant des milliers de personnes et des centaines d’associations. Le Forum n’est pas seulement un lieu de transmission de savoir politique et de discussion sur les sujets internationaux tels la dette, les interventions occidentales suite au déstabilisation de la Libye par l’Occident, la spéculation sur les matières premières agricoles et son impact sur la vie des paysans. C’est aussi un espace d’expression ou le peuple rassemblé en agora structure son analyse politique. La CAD mène des études de terrain sur les problèmes locaux, élabore des expertises qui servent à la pression exercée sur le gouvernement, la Banque Mondiale et autres « bailleurs de fonds » internationaux. Elle organise « le Vestibule d’écoute et d’assistance juridique » qui permet aux populations les plus défavorisées de se renseigner sur leur droit et de s’aider à l’autoorganiser.

Quelle leçon pour l’Europe de l’Est ?


Musée national de Bamako
Tissage au Musée national de Bamako

Musée National de Bamako