Koulawa – une coopérative de production féminine au Niger

Derrière l’immense mosquée verte, don de Khadafi, je suis accueillie par la dynamique et sympathique coordinatrice Mintou Kountché. Mintou me présente 15 coopératrices dont chacune représente un groupement de quelques dizaines de femmes. Ainsi quinze personnes représentent de 100 à 200 productrices dans une seule réunion. C’est une force économique non négligeable qui me montre encore une fois les capacités d’organisations dont font montre les productrices africaines et qui nous fait défaut sur notre continent européen. La grande maison de plusieurs pièces et pourvue d’une cour ombragée et d’une remise est l’héritage de la présidente du Groupement Koulawa, Rahanatou Abdoulaye, qui mettra ce bien à disposition des productrices privées de leur précédent lieu suite à la résiliation brutale de leur bail par un propriétaire avide d’augmenter le loyer. Rahanatou est veuve. Elle m’explique les difficultés des femmes restées seules avec leurs enfants et devant gagner leur vie sans qu’aucune aide de l’Etat ni de la société ne leur allège leurs tâches.

Les coopératrices et leurs produits

Le but du groupement est donc d’aider les femmes à vendre leur produits en participant à des salons, en mutualisant les moyens de production, l’accès aux emballages notamment, d’organiser la solidarité, de former et de soutenir les femmes entrant dans la production. Mais il s’agit aussi d’impliquer les femmes dans la lutte pour leurs droits et de les préparer à prendre leur place en politique. Rahanatou n’a aucun complexe : elle sera candidate aux élections législatives et elle estime que les femmes doivent voter pour des femmes qui ferons pression sur l’État pour la défense des intérêts féminins. La coopérative se veut donc un moyen de sensibilisation des femmes rurales afin qu’un plus grand nombre d’entre elles soient candidates aux élections. Un des souhaits les plus forts des femmes est que les veuves et les femmes délaissés par leurs maris puissent bénéficier une allocation de l’Etat afin de nourrir et scolariser leurs enfants. Certaines femmes, malgré la distance qu’induit la traduction et leur pudeur, me montrent clairement la dureté de la vie des femmes seules et leur colère face aux hommes qui ne contribuent pas au foyer ou qui se remarient avec une autre femme laissant seule leur première épouse. Je me garde bien d’émettre une critique sur la polygamie, mais les femmes productrices me montrent une lassitude de ce système dans lequel elles ne sont jamais certaines que l’homme leur accordera l’équité matérielle en théorie garantie. Les coopératrices soulignent maintes fois l’importance de l’autonomie financière des femmes, de la scolarité des filles et l’apprentissage d’un métier.

La coopérative représente les trois peuples du Niger : Haoussa, Gourmantché et Peuls. J’emporterai à ma rencontre suivante des échantillons de produits de chaque coopérative fournis par sa représentante. Le but est de les emmener en Europe et faire connaitre cette production artisanale et bio afin de faire inviter les groupements à des salons de commerce équitable et dans des rencontres de soutien à l’économie des femmes.

Je me fais une joie de connaitre ces produits et souhaite les faire connaitre dans les cercles militants mais aussi commerciaux.

Les coopératrice peule, Madame Hajara Bazo de la coopérative Biraadam Henebbam, dont le charme pudique m’émeut, me montre ses produits : lait et beurre de chamelle, fromage séché qui peut se manger en en cas et rappelle un pain azim, des bijoux aux perles multicolores et aux motifs de cuirs. Elle m’offre également une magnifique écharpe tissée de noir, vert et bleue, brodée des perles rouges et blanches.


Biraadam Henebbam – tissage, bijoux, fromage et lait de chamelle

Les coopératrices du groupement Kandegommi produisent une excellente pâte d’arachide qui fera les délices de mes petits déjeuners ains qu’une délicate huile artisanale dont l’arôme n’a rien à voir avec le produit fade auquel l’industrie occidentale nous a accoutumés. Les femmes de la coopératives Bombatou produisent de l’huile de moringa dont les vertus commencent à être connues et diffusées par les magazines féminins occidentaux. Le moringa se prête aussi bien comme condiment à la confection de la fameuse sauce moringa alors que l’huile peut avoir un usage aussi bien cosmétique qu’alimentaire. Aissatou Seyni représente le groupement Fahamey, spécialiste du sésame en noix grillés mais surtout en excellente huile alimentaire, cette huile de sésame si prisée des amateurs d’alimentation biologique et hors de prix dans les magasins en Europe. Le groupement Kokaranta est spécialiste du dégué, le mil précuit qui se mange avec le lait caillé ou le yaourt. Les traditionnelles farines de bissap et de gingembre pour la confection des boissons désaltérantes dans la fournaise ambiante sont également de la partie.

huile de moriga et huile d’arachide arstisanale
huile de sésame

Mais ce qui fait l’originalité de ce groupement, outre la variété des produits couvrant quasiment tout le champ des besoins alimentaires, sont des produits transformés : les coopératrices moulent devant moi dans la cour d’excellents bonbons au lait et caramel. Le groupement Sayé est spécialiste de carrés de « chocolat de baobab », au goût fin et acidulé, ainsi que de succulents chips de noix de coco légèrement caramélisés. D’excellent encas qui devraient plaire aux Occidentaux toujours à la recherche de produits rares et différents… Si ces femmes avaient la possibilité d’accéder aux circuits de distribution mondiaux, aux jolis emballages avec belles étiquettes de couleurs, à une publicité attractive, elles seraient les plus riches et non pas les plus pauvres de leur communauté… Si le système économique dans lesquels nous vivons toutes n’était pas profondément injuste, favorisant ceux qui produisent des choses inutiles ou nuisibles ou se contentent de prélever leur dime en tant qu’intermédiaire. En Occident comme au Sud, le producteur artisanal et surtout la productrice, n’est quasiment jamais rémunéré à sa juste valeur.

chocolat de baobab
dégué

La publicité de ce groupement de coopérative se fait déjà via les défilés de mode et les événements culturels organisés par Chaoudatou, jeune gérante de la société Fourtague Mazada qui me montre les photos d’impressionnantes robes de soirée de toutes les couleurs. Chaoudatou rêve d’intégrer d’Institut Français de Mode et d’allier dans ses créations la tradition et la modernité. Le groupement possède aussi 4 machines à coudre et entend les utiliser bientôt dans la cour et la remise de la maison. Les coopératrices du groupement Gagaciney réalisent les belles robes des défilés pour les mariages et les fêtes. Le groupement a même dirigé son propre restaurant jusqu’à la résiliation du bail par le propriétaire véreux. Mintou m’explique que cette activité génératrice de revenus doit être reprise. Enfin, les cosmétiques sont également une importante partie de la vente : beurre de karité parfumé au citron, savon artisanal au miel (et excellent miel brun à l’arôme puissant), savon liquide, lessive, parfum liquide, encens traditionnel. Et enfin, un excellent henné acajou dont je demanderai une livraison express, l’arbuste du henné poussant au Nord et au sud du Sahara. J’ai connu le henné du Maroc, celui de Gabès en Tunisie et je testerai aussi celui du Niger.

karité, sésame et gingembre
bijoux du Niger
Les coopératrices dans leur propriété atelier et bureau

Nous prenons RDV pour une coopération. Mintou s’active pour trouver des soutiens financiers pour la participation aux salons, les formations politiques, juridiques et professionnelles des coopératrices. Je m’engage à présenter les échantillons de leurs produits dans des circuits de commerce équitable français et de démarcher des salons alternatifs, une démarche qui ne s’avère pas si facile, les salons demandant des présentations très détaillées de la composition des produits que les coopératrices ne peuvent évidemment pas fournir rapidement. Le marché mondial n’est pas tendre avec celles qui font vivre réellement leur pays. D’où l’importance de prendre le pouvoir politique afin de disposer de la force de l’Etat pour organiser la production, la distribution et le marketing à grande échelle afin de garantir aux femmes un revenu à la mesure de leur travail, leur inventivité et leurs compétences.

Le Niger est un pays d’une démocratie vivante et exigeante. Les coopératives de production sont la base de confédérations, de syndicats et de partis aux objectifs politiques. Je peux le voir en rencontrant le syndicat radicalement anti-capitaliste USPTN. 

Mais avant je vais me détendre avec les enfants de mes amis au Musée National et centre culturel Boubou Hama.